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mes mémoires

mentalité canadienne tout court » (L’Action française, VIII : 210-215).

La querelle s’allume presque aussitôt. Le 9 février 1935, Me Noël Dorion, qui, à titre de président, je l’ai rappelé plus haut, avait à me présenter à un auditoire du Jeune Barreau, au Château Frontenac, à Québec, débutait ainsi :

Mil neuf cent vingt-trois. Un livre qui fait sensation vient de sortir. En quelques semaines, trois éditions ont été publiées. Immense succès de librairie en un pays qui, selon le mot de Fournier, est encore un enfer pour l’homme de lettres. Comme des abeilles sur une fleur chargée de suc, un essaim de critiques s’abattent sur ce bouquin, le déchiquettent, en éparpillent à tous les vents qualités et défauts. Autour, deux partis se forment ; et pendant que les uns tiennent L’Appel de la Race pour un hors-d’œuvre, d’autres, non moins sincères, y ont découvert un véritable chef-d’œuvre.

La bataille va durer pas moins de huit mois. Engagée en septembre 1922, elle ne prend fin qu’en mai de l’année suivante. Le roman s’attaque au mariage mixte selon la race. C’est analyser, stigmatiser l’un des pires travers de la bourgeoisie canadienne-française. Qui, ici, frappe-t-on au visage ? Les snobs, la foule des parvenus pour qui un beau mariage avec un Anglais ou une Anglaise équivaut à des lettres d’anoblissement. Ce beau monde, on peut s’y attendre, va réagir. Il réagit et rugit. Ses principaux porte-parole ou vengeurs, il les trouvera, entre quelques autres, dans la personne de Louvigny de Montigny et de René du Roure. Le premier, fonctionnaire d’Ottawa, est lui-même allié à une juive ; le second, Français de France, naguère professeur de littérature française à l’Université de Montréal, est passé récemment à McGill. Que reprochent ces deux critiques à L’Appel de la Race ? D’être un roman à clé, violation, en particulier, de la vie privée d’un homme politique encore existant en chair et en os, le sénateur Belcourt. On reproche encore au roman l’in-