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Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/173

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mes mémoires

produit ces 15,000 âmes ? À peine entrons-nous dans la Louisiane acadienne que, le long des bayous, canaux collecteurs des eaux du delta, tout un pays original et de physionomie manifestement française s’offre à nous. C’est le même type de race et l’on dirait aussi le type de la paroisse rurale québécoise : alignements de terres en rectangles allongés, pour donner au plus grand nombre l’accès à la voie d’eau ; même type de l’ancienne maison normande ; et, de distance en distance, le clocher de chez nous, pôle attractif, cœur de la collectivité. Et il y en a ainsi sur des centaines de milles. Aubry, l’un des derniers gouvernants militaires de la Louisiane française, écrivait en 1763 des immigrants acadiens : « Ils renaissent à la Louisiane et y feront des merveilles si on les aide un peu. » Les Acadiens n’ont pas démenti cette bienveillante prophétie. Ils s’y sont multipliés à la façon patriarcale. Si l’on fait entrer en ligne de compte quelques groupes épars dans le Texas, c’est de 500,000 et voire, selon quelques-uns, de 700,000 descendants d’origine française qu’il faudrait parler dans l’ancienne colonie d’Iberville.

Ces gens, qu’ont-ils gardé de leur origine ? À toutes les étapes, la foule accourt par milliers nous accueillir, nous faire fête. Ce sera une traînée de réceptions triomphales. Partout l’on se met en frais de décorations coûteuses, de banquets, de mises en scène originales, d’un déploiement de musique, de bannières, de défilés, pour marquer sa joie, j’allais dire son délire. Presque partout nous arrivons en retard. La foule qui s’est rendue d’avance pour ne pas nous manquer attend une heure, deux heures, sous un soleil torride, et sans fatigue apparente, si nous en jugeons par l’élan, la chaleur de ses acclamations. À Ville-Plate, 7 à 8,000 personnes se sont massées autour de l’hôtel de ville. À Lafayette, 12,000 nous attendront pendant trois heures, sans se disperser ; puis, bien que le soir soit venu, écouteront des discours pendant une heure. Le dimanche, 19 avril, à Saint-Martinville, une foule d’environ 20,000 personnes se réunira pour le dévoilement du monument d’Évangéline et, pendant quatre heures, subira, avec sérénité et souvent avec enthousiasme, l’averse diluvienne de 22 discours inégalement intéressants. Aux Opelousas, où écoutent 4 à 5,000 auditeurs, les discours sont irradiés. Au poste du microphone, c’est à la centaine près que les télégrammes affluent, venant de tous les coins du pays et disant la joie de ceux qui sont aux écoutes d’entendre parler français. À Napoléonville où la foule est trop considérable, il faudra parler du haut de deux tribunes à la fois.