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mes mémoires

son rêve, sa philosophie, pour l’âpre volupté de dominer, de se savoir chef de file, chef d’école ? Serait-ce pure affaire de tempérament, d’animal d’action, d’un Lyautey, par exemple, qui n’a de cesse, de joie enivrante qu’il n’ait pétri quelque part la pâte humaine, selon l’idée, l’exemplaire qu’il trouve en soi-même ? Serait-ce plutôt et plus modestement acte tout simple de propagandiste, disons mieux acte d’apôtre, de passionné de l’idée, du vrai, qu’attriste le spectacle de toutes les misères de l’esprit, de toutes les servitudes imméritées, et qui se refuse le droit de garder égoïstement ce qu’il estime la vérité, vérité illuminatrice, vérité libératrice ? Que l’écrivain engagé qui se sait lu, écouté, suivi, se défende mal d’un peu de joie, sans doute vaniteuse, bien vaniteux qui l’oserait nier. Cette confession faite, puis-je affirmer, en toute loyauté d’âme, que si j’ai ambitionné parfois d’orienter les miens, surtout la jeunesse, je n’ai rien voulu accomplir d’autre que mon devoir d’homme et sans doute aussi de chrétien et de prêtre. Et c’est ainsi que parut Orientations.

Pour étrange que la chose paraisse, voici bien celui de mes ouvrages qui, en ce temps-là, obtient le plus large et le plus profond retentissement. À quoi le doit-il ? Voilà pourtant la sorte de livres que j’estime médiocrement : des recueils, des mélanges, des pages choisies. Je n’aime pas gratter le fond de mes tiroirs. J’ai souvent pesté contre les impuissants qui s’abandonnent à cette faiblesse. Mais, hélas, il faut compter parfois avec la gent tenace des éditeurs. Et le plus sûr moyen de se délivrer de ces crampons, ne serait-ce pas de céder, en définitive, à leur importunité ? Ainsi, quatre fois, en ma vie, il m’arrivera de gratter, mais non sans vergogne, mes tiroirs. Eugène Achard vient de fonder les éditions du Zodiaque. Déjà il a embrigadé Robert