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cinquième volume 1926-1931

la misère pour ces agriculteurs qui achètent toute leur nourriture. » En dépit de cela, ces entêtés de la culture unique se rebiffent contre toute réforme. La culture mixte : culture de céréales mélangées, élevage, industrie laitière, aviculture, etc., révolutionne par trop de chères et déjà vieilles habitudes parmi ces Franco-Manitobains. L’homme ne renonce pas aisément à la facilité, à la recherche du moindre effort. Je m’en rends compte, lors d’un petit congrès, en plein air, à Saint-Pierre-Joly. Des agronomes, appuyés par des jeunes de l’ACJC, prônent de leur mieux de nouvelles méthodes agricoles. L’Archevêque est là pour soutenir de sa présence les réformateurs. Il faut voir, néanmoins, avec quelle vigueur l’assemblée réagit. C’est à qui, tantôt par blague, tantôt par sarcasme, invoquerait des expériences prétendues décevantes. Et ce, au nez du chef spirituel que pourtant l’on aime et vénère.

Le drame des minorités

En face de ce petit peuple une question m’est venue fatalement à l’esprit : ces Franco-Manitobains ont-ils des chances de survivre ? En ont-ils la volonté et les moyens ? La volonté et les moyens, ils me paraissent bien les posséder. Ainsi m’en persuade ma première rencontre avec eux en 1928. Je les voyais se livrer avec tant d’ardeur et au prix de sacrifices héroïques à l’organisation d’un système scolaire bien à eux, en marge de la loi. Et, pour se garder cette virilité d’âme, ils s’aidaient de si vigoureuses institutions : leur clergé, chef en tête, leur Collège de Saint-Boniface, leur Association d’éducation, leur journal La Liberté, alors vivant et ferme. Ils possédaient aussi des chefs, quelques-uns venus jeunes de la province de Québec et qu’avait marqués la grande bataille scolaire de 1890 à 1896. Pourtant — et je n’en pouvais rien dire dans ma lettre à Perrault destinée à la publication — avais-je peine à me cacher, malgré la réelle vigueur de la résistance, quelques ressorts en train de se détendre. J’observais, par exemple, la naissance d’un régionalisme légitime en soi, mais qui inclinait à mal supporter la collaboration des Québecois. On eût parlé volontiers d’ingérence. Un jour, du reste, je pus m’édifier, à mon aise, sur ce point délicat. Quelques