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sixième volume 1931-1939

bon nombre des convives me comprennent ; les autres font semblant. Résumerai-je ma petite allocution ? Elle fut toute simple. Ce que veulent les Canadiens français ? Peu de chose, et pourtant beaucoup : Vivre chez eux dignement. J’appuie sur ces mots : Vivre chez eux, dans un pays qui est le leur, autant, à tout le moins que les pays des autres. Vivre dignement, c’est-à-dire avec une certaine somme d’autonomie à la fois politique, économique, culturelle. Et je développe ces trois termes, en toute franchise. Pour le reste, mes compatriotes, dirai-je en terminant, n’ont jamais nourri le dessein de jeter la minorité anglaise dans le Saint-Laurent. Ils croient à la cohabitation ; ils l’acceptent ; mais ils la veulent dans un mutuel respect du droit des uns et des autres.

On m’écoute avec attention, avec sympathie. Des échanges de vues, des commentaires suivent. Comme toujours en ces rencontres, je m’en aperçois, la plupart m’ont peu compris. Les hommes sont si loin les uns des autres quand la langue, la foi, la race, l’histoire les séparent. Nous nous quittons après de chaudes poignées de mains. Un exemplaire relié du pire de mes ouvrages en ce milieu, mes Directives, est sur la table. Qui l’a apporté là ? L’ami Soucisse, sans doute. Gravement la plupart des convives — ils ne m’ont pas lu à coup sûr — apposent leur signature sur la première page blanche, au-dessous de cet en-tête :

Souvenir de la réunion intime du 25 mai 1939 convoquée par l’Institut Elgin en l’honneur de M. l’abbé Lionel Groulx. Faculty Club, University McGill.

Exemplaire que je loge parmi mes livres rares et que je ne fais voir à mes amis qu’avec discrétion, crainte du scandale des prudes.

Derniers travaux de 1937 et de 1938

Jusqu’à la fin de cette période, il était dit que ni ma plume ni ma langue ne se reposeraient. Mes cours d’histoire continuent à Montréal et à Québec. Des jeunes gens, des journaux m’arrachent des entrevues. Je prononce, entre quelques autres, deux conférences : l’une en novembre ou décembre 1937, au Gésu, sur les événements d’il y a cent ans. Je tente une explication de