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mes mémoires

des jours, mes notes, des développements entiers parfois, s’aligneront à la suite, sans ordre, ébauches plus que morceaux finis. L’heure venue de rédiger tout de bon, je trouverai là plus de paille que d’or, sans doute. Beaucoup de ces matériaux s’en iront aux rebuts. N’importe, pour la charpente, pour l’œuvre, tout le bois est là. C’est l’heure de l’architecte. Je ne m’en fais point. Dans un autre éclair, pendant le jour, parfois pendant la nuit, — car, avec le Père Gratry, dans ses Sources je pense, je crois au travail mystérieux du subconscient aux heures de sommeil, — le plan, l’ordonnance me saute à l’esprit. Je n’ai plus qu’à écrire.

Crise de fatigue

Donc je viens de vivre une période d’un labeur extrêmement intense. L’arc trop bandé allait-il se rompre ? Un art, entre bien d’autres, m’est resté inconnu : l’art de savoir refuser. J’appris que le plus lourd dans la vie n’est pas la besogne régulière de chaque jour, l’accomplissement du devoir d’état, mais bien plutôt les à-côtés, les tâches marginales dont les amis s’ingénient à vous surcharger : discours, articles de journaux et de revues, examens de manuscrits, et surtout les immanquables préfaces dont j’aurai écrit, je crois bien, pas loin d’une centaine. Mes conférences d’histoire canadienne à Québec m’ont entraîné à quelques extravagances. D’ordinaire je prends le train la veille ; l’après-midi de mon arrivée là-bas et le lendemain, je les passe à travailler aux Archives si riches du Séminaire dont l’abbé Maheux m’ouvre la porte le plus généreusement du monde. Le soir, après ma conférence, invariablement, l’on me réserve une rencontre d’amis, voire parfois de jeunes prêtres, de jeunes religieux qui me désirent questionner sur toutes sortes de problèmes. Ces rencontres durent jusqu’à minuit, l’heure de mon train. À cinq heures du matin, après un sommeil écourté et plus ou moins profond, je me retrouve à Montréal pour reprendre ma tâche. Au printemps de 1938, je reviens de la capitale dûment grippé. Mais je n’ai pas de temps à perdre. Je veux me guérir tôt, par un remède énergique : une intervention de M. Purjon. Mon médecin, le Dr Charles Saint-Pierre, acquiesce difficilement. Sur son conseil,