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cinquième volume 1926-1931

ce sera plus tard, en son voyage au Canada, Jean-Marie Gauvreau me l’amène à Vaudreuil, à ma petite maison des « Rapaillages ». Je le conduis à la rive du lac des Deux-Montagnes, juste à quelques pas en face de mon chez-moi. Le paysage s’égaye dans une belle journée d’été. Une buée de chaleur masque à huit milles la rive opposée. Le cher homme regarde, et très étonné et avec un grand sérieux, s’écrie : « Mais je ne comprends plus rien ; je ne sais plus où je suis. Vous êtes au bord de la mer, ici, M. l’abbé ? » Eh oui, me dis-je, comme dans la fable : Voici les Apennins et voilà le Caucase !

M. Lauvrière avait invité à ce déjeuner Émile Baumann. Celui-ci, je le confesse, m’attirait plus que mon hôte. J’ai gardé quelques notes sur cette rencontre avec Baumann. Je les transcris :

L’homme : teint rosé, paraît plus jeune que ses photographies. Beaux yeux qui sourient facilement. Mains fines, très propres. Tempérament robuste. Parler franc, droit. Me fait grand éloge de La Naissance d’une Race [récemment paru en sa 2e édition] que je lui avais envoyé et qu’il vient de lire. A été scandalisé d’un article d’Henry Bordeaux (dans Le Candide) où Bordeaux tente la justification d’une amoureuse qui a tué son amant et qui a été acquittée par le tribunal. Je lui demande si le mouvement de retour vers le catholicisme s’accentue. — Non, il rétrograde. — Et les conversions parmi les intellectuels ? — Quelques-unes. — Et l’action des écrivains catholiques ? — Oh, si divisés entre eux qu’ils sont bien incapables d’exercer une action puissante.

J’aurai occasion de revoir Baumann et cette fois chez lui. Je vois, par quelques lettres que j’ai gardées de l’écrivain, que nous étions en relations depuis au moins le 3 avril 1929. Nous échangions, je crois, de nos ouvrages. J’ai plusieurs de ses livres autographiés par lui, entre autres, ses Intermèdes, Les douze collines. J’avais particulièrement goûté sa vie de saint Paul. On sait qu’il avait écrit cette biographie de l’Apôtre, alors que tout jeune, et par ambition de donner à son œuvre un fondement inspirateur, une base doctrinale, il s’était mis à l’étude des lettres de Paul de Tarse. Et, pour mieux comprendre les lettres, il avait entrepris de refaire, autour de la Méditerranée, le périple de l’Apôtre des Gentils, le suivant rigoureusement à la trace. De ce voyage un li-