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mes mémoires

près de nos politiciens de toute couleur, le stigmate infamant pour eux de « séparatiste » ? J’avais pourtant pris mes précautions. Dans le même texte j’ajoutais : « Quand nous parlons, en effet, d’État français, nous n’exigeons par là nul bouleversement constitutionnel. Nul besoin, pour créer cet État, de changer un iota aux constitutions qui nous régissent. Nous demandons tout uniment que soit fait aujourd’hui ce que, par inintelligence ou pleutrerie, nos chefs politiques n’ont pas su faire en 1867. Au lieu d’un État qui, en tant de domaines, se donne des airs d’État neutre ou cosmopolite, nous demandons un État qui, dans le respect des droits de tous, se souvienne aussi de gouverner pour les nationaux de cette province, pour la majorité de la population qui est canadienne-française. »

« Conception politique, on ne peut plus légitime, certes, continuais-je, et je le répète, conforme au droit, à notre histoire. » Mais conception, aurait-il fallu affirmer, trop hardie, inacceptable à la classe des politiciens et des bourgeois d’alors, aveuglés par l’esprit de parti, rouges et bleus, aussi bien à Ottawa qu’à Québec, unis souvent par la même caisse électorale et qui élevaient si haut leur double allégeance politique qu’on pourra entendre un homme pourtant intelligent, Ernest Lapointe, clamer un jour : « Le parti, c’est la patrie ! » Aucune illusion ne m’était venue néanmoins sur le scandale inhérent à mes propos. J’avais écrit ces lignes pour finir : que ma conception politique « épouvante tant de braves bourgeois, rien d’étonnant lorsque l’on songe que, pour avoir étudié l’histoire de leur pays dans les manuels que l’on sait, et ce, depuis deux ou trois générations, tant de ces bonnes gens n’en possèdent qu’une science microscopique et n’en ont jamais aperçu les lignes maîtresses. Canadiens français de l’espèce tolérée, et volontairement de cette espèce, et par surcroît, centralistes étroits et bornés, ils ne se rendent pas compte, les malheureux, que leur attitude constitue, à elle seule, le pire argument qu’il soit possible d’invoquer contre la Confédération. Car enfin si, en l’an 1936, il devient criminel, révolutionnaire, d’exiger ce qui aurait pu et ce qui aurait dû exister depuis 69 ans, comment démontrer, de façon plus accablante, que le régime fédéral aurait fait de nous une race dégénérée politiquement ? » À mes précautions j’en avais joint quelques autres. En