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huitième volume 1950-1967

mon texte on peut lire, entre autres, cette conclusion : « Le devoir certain, où il n’y a pas de risque de se tromper, ni de perdre son effort, c’est de travailler à la création d’un État français dans le Québec, dans la Confédération si possible, en dehors de la Confédération si impossible. Là réside le moyen d’atteindre notre bien humain, et peut-être, s’il n’est pas trop tard, de redresser la Confédération. »

Peine perdue. Affreux séparatiste, j’étais ; affreux séparatiste, je resterai. Je m’en aperçus bien en 1937, au deuxième Congrès de la Langue française tenu à Québec. L’idée de l’État français me revint à l’esprit, puis à la bouche. Encore cette fois j’avais pris mes précautions quoique d’un ton ferme. Je me cite : « La Confédération, nous en sommes, mais pourvu qu’elle reste une confédération. Nous acceptons de collaborer au bien commun de ce grand pays ; mais nous prétendons que notre collaboration suppose celle des autres provinces et que nous ne sommes tenus de collaborer que si cette collaboration doit nous profiter autant qu’aux autres. Peu importe ce que pense là-dessus la vieille génération. Je sais ce que pense la jeune génération, celle qui demain comptera. À celle-ci prenez garde de donner à choisir entre sa vie, son avenir français, et un régime politique. Elle prétend bien n’être pas entrée dans la Confédération pour y vivre une vie nationale et culturelle appauvrie, mais plus riche ; non pour être un peuple moins français, mais plus français. » Emporté, encore une fois, dans ma démonstration, j’en arrivais à cette déclaration finale : « Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, notre État français, nous l’aurons ; nous l’aurons jeune, fort, rayonnant et beau, foyer spirituel, pôle dynamique pour toute l’Amérique française. »

Hélas, j’avais comblé la mesure. Indéniablement je me confessais « séparatiste ». Tous les sages se voilèrent la face. J’ai raconté cet épisode dans le sixième volume de ces Mémoires. M. Duplessis en reçut un choc violent. Un homme intelligent comme l’archevêque de Saint-Boniface de ce temps-là, Mgr Yelle, prit peur pour les minorités. Je dus le voir et le rassurer.