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Page:Guèvremont - En pleine terre - paysanneries - trois contes, 1942.djvu/12

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Germaine Guèvremont

gras, à la mi-carême, Amable avait escorté Alphonsine comme si de rien n’était. Mais aucune parole douce n’avait plus franchi le bord de ses lèvres : la source en semblait tarie à jamais. Quand, par un dimanche de la fin de juin, Alphonsine avait quitté le rang, Amable enragea : son Alphonsine, une fille « engagère » ! Il prit à travers les champs, seul, à grandes enjambées jusqu’au bois et nul ne le revit de clarté, ce jour-là.

***

Une bouffée d’air gelé refroidit la cuisine. Le père Didace Beauchemin paraît sur le seuil de la porte. Il rentre de Sorel et se jette dans la maison comme si quelque main brutale l’y eut poussé. De sa figure forte et colorée, on ne distingue d’abord que l’œil vif, les épais sourcils enfrimassés et la moustache frangée de glaçons. D’un commun accord, chacun s’affaire autour de lui et l’aïeule se hâte vers le poêle où elle met la théière à chauffer.

D’un caractère entier, lent à parler mais prompt à la colère, le grand Didace Beauchemin, selon les voisins, voit venir les