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Page:Guèvremont - En pleine terre - paysanneries - trois contes, 1942.djvu/27

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UN BON QUÊTEUX


Chaque famille du rang de Sainte-Anne possédait son quêteux, sans plus d’orgueil, telle une nécessité dans l’ordre de la paroisse. Mais le quêteux adopté par les Beauchemin n’était pas un quêteux comme les autres. Il n’appartenait pas à la race des quêteux benoîts qui mendient de tout leur corps moulé aux humiliations, la main creusée en sébile, le regard battu et le genou fléchi ; ni à la trempe des mendiants des villes, redoutés et sournois, quémandeurs dans l’ombre, qui, pour la plupart « coquent d’un œil » sous la casquette complice. Ce n’était pas lui qu’on aurait vu arriver à Sainte-Anne, à la brunante, en rasant le bois et les clôtures ; toujours il prenait le mitan de la route. Russe avait de la fierté : il n’allait pas au-devant de l’aumône ; il l’attendait, tête nue, le front haut, en digne quêteux qu’il était.