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Page:Guèvremont - En pleine terre - paysanneries - trois contes, 1942.djvu/61

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En Pleine Terre

sillons de son visage s’étaient creusés sous le soc du malheur. Elle s’informa de l’heure et pria Alphonsine d’arrêter la pendule selon l’ancienne coutume : elle voulait poser un jalon pour savoir plus tard où repérer sa peine. Il y en avait eu des morts et des morts dans sa vie ; elle les repassait tous. La prochaine à entreprendre le grand voyage aurait dû être elle-même plutôt que ce jeune à peine au monde. Mais non ! Dieu décide tout seul.

Un groupe approchait avec le corps. Des terriens en habits de travail lui faisaient cortège. Vitement on entraîna Mathilde Beauchemin dans une autre pièce. Un enfant pieds nus vint sans dire un mot lui apporter un bouquet de fleurs-de-grenouille et de lys d’eau. Instinctivement elle repoussa ces fleurs dont les longues tiges avaient peut-être retenu son fils captif au fond de l’eau ; mais elle attira l’enfant et se mit à pleurer doucement.

Une femme émit l’idée que le défunt souffrait sans doute de quelque maladie de cœur et qu’il aurait tout aussi bien succombé à une syncope, sur la terre que sur l’eau. Ceci parut fort sensé à la plupart des assistants.