Aller au contenu

Page:Guèvremont - En pleine terre - paysanneries - trois contes, 1942.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
Germaine Guèvremont

Ses fils ne lui ressemblaient pas. Noirs, chétifs, peureux comme des lièvres et maraudeurs en plus, ils auraient troqué leur âme au diable contre un écu sonnant. Mais sa femme en mourant lui avait donné une fille pareille à lui, une fille fière, avec la blondeur du soleil en jeu sur l’eau de printemps, et des yeux du bleu des violettes surprises par l’aurore. Quand Defroi vit cette fleur miraculeuse venue parmi les herbes grossières, il ne trouva qu’un nom digne d’elle : Ange, Marie-Ange.

Dès qu’elle eut l’âge de connaissance, il lui apprit trois choses : croire en Dieu, craindre l’herbe écartante et mépriser l’argent. Il lui expliquait tout selon la simplicité de son cœur, avec ses mots à lui ; et sortant de sa poche un petit crucifix d’étain qu’il nommait « sacrifix » il apprenait à l’enfant l’histoire de son Dieu mort en croix.

Non loin de la maison, le bois était épais et le marais profond. De peur de la voir s’y enliser ou s’y écarter, il enseigna à Marie-Ange la malice de l’herbe écartante. Sitôt que les petits enfants seuls passent là où elle pousse, la mauvaise herbe leur monte aux yeux, les aveugle, et plus jamais ils ne retrouvent le chemin de la maison.