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LE SURVENANT

Le premier, il baissa la vue et prit l’argent sans ajouter un mot.

Angélina embellissait. L’amour la transfigurait. Il ne l’avait pas remarqué auparavant. Cette fille farouche et pure qui, sans penser à mal, offrait de l’argent à un homme lui rappela soudain le raisin sauvage qu’il avait cueilli le soir de son arrivée au Chenal. Avant de frapper à la porte des Beauchemin, il avait vu une vigne chargée de raisin noir et il s’était arrêté auprès. L’âpreté du fruit lui avait d’abord fait rejeter au loin la première grappe, puis peu à peu il s’était mis à en manger, y prenant goût et sans parvenir à s’en rassasier.

À voix basse, au cas que son père ne dormît pas, Angélina dit :

— Boire, c’est une ben méchante accoutumance. À l’avenir, tâche donc de te comporter comme un homme, Survenant.

Il fit signe que oui.

— Samedi en huit, continua Angélina, après le marché, je pourrai aller avec toi à l’« Ami du Navigateur », pour pas que le Syrien te passe n’importe quoi.

Elle, si effacée d’ordinaire, s’enorgueillit à la pensée de se promener au bras du Survenant, dans la rue des magasins, à Sorel, à la vue du monde entier. Bernadette Salvail ne serait pas sans l’apprendre.