Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

misère, leur fortune s’était rapidement accrue, et après la vente si avantageuse des forêts, elle avait même doublé. La richesse est la forme la plus remarquable du bonheur terrestre, et bonheur signifie toujours épreuve. On demande si tu es un homme à supporter le bonheur. »

Au bout de la première phrase il avait jeté en diagonale un regard à son interlocutrice pour jauger l’effet de sa lecture. De la voir vivement intéressée redonna de la force à sa voix. Le regard limpide de Caroline s’abattit sur lui comme un jugement définitif. N’aurait-on pas dit qu’il était l’auteur de ces lignes ? Pliée en deux, elle partit à rire comme une folle. D’une main, elle fourrageait dans des paperasses tandis que de l’autre elle s’écrasait les lèvres dans l’espoir de diminuer le rire qui la secouait toute. Sa crainte était qu’il fusât en cascades. Elle redevenait la Caroline ricaneuse d’autrefois. Battue, même flagellée, elle aurait ri encore. Ce n’était pas la première fois qu’elle assistait à pareille mise-en-scène mais cette fois le grotesque du spectacle lui sautait aux yeux. Elle parvint à s’esquiver sans être vue de Philippe. Tout au fond de l’atelier, appuyée contre le chambranle de la porte, elle épuisa toute