Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/163

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suivait le même trajet que les saisons variaient seules de leur décor. Si elle s’égarait parfois en quelque promenade solitaire jusqu’aux confins de la petite ville, il se trouvait toujours quelqu’un pour lui rappeler le joug de l’esprit provincial. Au lendemain d’une promenade poussée aux limites de l’Anse, une dame était accourue au journal, sous un prétexte quelconque et, à propos de rien, avait glissé à Philippe :

— J’ai vu votre demoiselle, hier, sur la route du cimetière. C’est pas prudent de s’aventurer seule de même dans des chemins boisés. Vous devriez lui en parler. Mais, après tout, elle allait peut-être au-devant de quelqu’un…

Caroline avait vu rouge surtout quand, ne soupçonnant pas que son insinuation avait résonné aussi loin, la dame lui demanda d’une voix mielleuse :

— Ma chère enfant, vous qui êtes si bonne, dites donc un petit mot enjôleur au directeur pour qu’il parle de moi dans son journal. Vous devez être capable de tout obtenir de lui, vous.

Agrippée au pupitre, Caroline se retenait de lui dire toute sa façon de penser. Heureusement, quelqu’un entra à ce moment-là.

C’était un travaillant du port, qui venait humblement demander un coin du journal pour y annoncer la mort de son père. Le vieillard, à l’heure où les écoliers débauchaient en bandes de l’école, avait sauté à la bride d’un cheval emballée. Une ruade lui avait fracturé le crâne. Son acte valeureux avait peut-être épargné des vies et des souffrances mais