Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/164

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il lui avait valu la mort.

De sa main calleuse, l’homme tordit une larme sur sa joue brune. Pendant qu’il parlait, Caroline regardait les mains couleur de terre, les mains fortes, aux doigts courts, qui connaissaient tous les jeux des cordages, poème vivant à la gloire du travail des humbles.

À même son travail journalistique, Caroline avait édifié, pierre sur pierre, une œuvre de bonté. Il y avait quotidiennement des angles à arrondir et Philippe tenait à soigner les innombrables vanités de ses concitoyens. L’abonné est le roi et maître du petit journal, disait-il. Et il ajoutait : « Quand bien même, nous aurions toute la reconnaissance du monde, si nous n’avons pas d’argent dans la caisse, comment vivrons-nous ? » Malgré toute la sagesse de ce raisonnement, Caroline gardait un faible pour les pauvres gens et elle ne perdait jamais une occasion de mettre en lumière leurs faits méritoires. Le soir venu, elle téléphona à Montréal, au « People » pour donner sa version de l’accident. Après quelques questions, le rédacteur lui demanda : « Est-ce que le jury a fait l’éloge du héros ? » Caroline dut répondre que non.

Alors, uniquement par un sens de justice, deux sans-grades du journalisme, tressèrent une couronne et la déposèrent sur la tête de l’homme tombé, victime de son courage.


Le citadin matinal et mal éveillé qui va furtivement tirer sa gazette et sa bouteille de lait se doute-t-il même du rôle des sans-grades ? Sur eux repose la responsabilité de contrôler chaque détail des faits-divers. En dehors de la satisfaction du devoir accompli et du traitement souvent aléatoire, — tel était le