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Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/5

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Alors elle attendait quoi ? la rue ? plutôt la mort ! Pour mieux se convaincre, elle s’abîma dans le néant : « Je ne suis rien, je ne vaux rien et rien ne vaut. »

Face à son lit, au mur, des roses rouges saignaient sur une frondaison d’un vert vulgaire et une beauté-réclame souriait niaisement de son cadre. Caroline se leva, d’un geste rageur, pour renverser le panneau. Une punaise, dérangée dans son œuvre, s’élança de biais. La jeune femme, crispée de dédain, frissonna. De la cuisine une odeur de chou-fleur venait rejoindre l’air affadi de la chambre. La nausée la gagnait.

En passant devant la glace, elle se regarda comme une femme regarde une autre femme : sans indulgence. Ses cheveux tombaient droit, son regard était atone et ses joues, jaunes et creuses : elle se jugea finie et comprit qu’elle arrivait au bout de son voyage. Le mot du héros d’un roman de Jack London lui montait à l’esprit : « Ce n’est pas la mort qui est terrible, c’est la vie ! » Elle se suiciderait. Sa décision était irrévocable et tout son plan bâti de manière à accomplir les cho-