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CHAPITRE XI


En voyant Caroline, elle tressauta et leva au ciel deux bras secs comme des branches mortes. Avec les années, sa peau avait pris la teinte des cierges rangés depuis longtemps dans les placards et les sillons de son visage étaient si profonds qu’ils formaient des ombres. Un mouchoir terne posé de travers sur sa tignasse décolorée achevait de l’enlaidir. Elle s’extasia de recevoir chez elle « la demoiselle du journal », tout en s’asséchant les mains à même son tablier. En un tournemain, elle enleva sa coiffure et s’en servit pour épousseter vigoureusement une chaise ; en même temps elle lançait des invectives contre la poussière infâme qui repousse à mesure.

L’interviou fut vite terminée. Tout ce que la mère Rivard avait appris de la fin de son homme, c’est qu’il était en train d’attacher un noyé par le mitan du corps quand la chaloupe avait chaviré.

Après un silence, elle demanda à Caroline :

— Alorsse, vous n’êtes pas de la place ?

L’arrivée d’une étrangère au petit pays de l’Anse-à-Pécot ne passait pas inaperçue. Tous savaient que Caroline venait de loin. Ne pas avoir vu le jour à l’Anse ne prenait pas dans l’esprit d’un Pécotais