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Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/87

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même en connaître la cause ? Une clôture affaissée ou l’intrusion d’un animal dans le parc du voisin suffisent à inciter ces ennemis implacables aux actes les plus violents.

L’Anse-à-Pécot avait aussi ses Capulets et ses Montaigus qui se haïssaient à la petite haine quotidienne et inlassable.

Caroline tressauta en apercevant près d’elle une femme à l’allure décidée et à l’œil en feu : une guerrière de renom. Hâtivement elle ramassa sa joie éparpillée aux quatre coins de son cœur et elle attendit le coup.

— C’est vous, à ce qu’on me dit, qui avez la charge du journal ?

— Je fais de mon mieux, se contenta de répondre Caroline sur la défensive.

— Eh ! bien, ma chère demoiselle, j’ai de quoi pour vous. Vous savez pas la nouvelle ?

……

Après une pause qu’elle voulait impressionnante, elle lança à tous les vents sur un ton dramatique :

— L’enfant de Moïse Desloges a voulu tuer, à coups de couteau, mon garçon de huit ans. Oui, à coups de couteau.

L’invraisemblance de la situation trouva Caroline sceptique :

— Vous m’en direz tant !

Les mots avaient bondi malgré elle.

La suite du récit révéla qu’il s’agissait d’une simple éraflure. Les enfants s’amusaient à entailler un morceau de bois quand le couteau avait jailli comme par exprès, mais à peine si la lame épointée avait pénétré entre cuir et chair. Le mal était plus dans l’idée des parents que dans le cœur des petits. Il serait doux d’humilier la famille ennemie en exposant dans le journal l’acte vilain d’un de ses membres, aux yeux de toute la communauté rurale ; il serait bon d’avoir bien