Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans le grand’fauteuil à oreillettes qu’elles avaient tiré près du feu, Caroline commença :

Il y a longtemps que tu me demandes de te parler de mon pays, je vais t’en dire assez long que tu t’en souviendras toujours. C’est un drôle de pays, pas tout uni comme par ici, ni élevé comme dans les hauts. Tout le tour de Notre-Dame-des-Neiges, il peut y avoir des bourrelets de terre et des buttes toutes en plis gras, mais à Desneiges même, c’est en plein dans le maigre du pays et plat comme la main. Quand le vent arrive là, je te dis que Desneiges trouve son maître et on dirait que la neige redouble. Aujourd’hui, il y a des maisons, mais autrefois c’était tout nu : des champs, des clôtures, une grange ; des champs, des clôtures, une grange. Tout près de là il y avait un méchant rang qu’on nommait : le rang des suisses, parce qu’une dizaine de ses habitants avaient abandonné leur religion, à cause de difficultés qu’ils avaient eues avec l’évêque. Les suisses donnaient le mauvais exemple : au travail, le dimanche comme la semaine ; ils ne payaient pas la dîme et parlaient en mal des choses saintes. Comme malgré tout ils prospéraient, le curé du village voisin craignait de les voir entraîner d’autres à leur mauvais esprit. Pour atténuer leur influence, il voulait rapprocher de Dieu ses paroissiens, en élevant une chapelle qu’un prêtre de sa connaissance, à sa retraite, pourrait desservir une fois la semaine. Le premier et le plus ardent à s’objecter au projet fut un nommé Aubuchon, maire de la paroisse.

— C’est pas nécessaire, disait-il à tout venant. Pourquoi bâtir une chapelle