Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/431

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FRAGMENT [1]


——


Non, ce n’est plus assez de la roche lointaine
Où mes jours, consumés à contempler les mers,
Ont nourri dans mon sein un amour qui m’entraîne
À suivre aveuglément l’attrait des flots amers.
Il me faut sur le bord une grotte profonde,
Que l’orage remplit d’écume et de clameurs,
Où, quand le dieu du jour se lève sur le monde,
L’œil règne, et se contente au vaste sein de l’onde,
Ou suit à l’horizon la fuite des rameurs.
J’aime Téthys : ses bords ont des sables humides ;
La pente qui m’attire y conduit mes pieds nus ;
Son haleine a gonflé mes songes trop timides,
Et je vogue en dormant à des points inconnus.
L’amour qui, dans le sein des roches les plus dures,
Tire de son sommeil la source des ruisseaux,
Du désir de la mer émeut ses faibles eaux,
La conduit vers le jour par des veines obscures,
Et qui, précipitant sa pente et ses murmures,
Dans l’abîme cherché termine ses travaux :

  1. Publié avec le Centaure par la Revue des Deux Mondes (15 mai 1840).
        « Le Centaure, qui est complet, et ce fragment de vers, qu’on pourrait intituler Glaucus, sont, disait George Sand, les seuls essais que nous ayons pu recueillir. »