Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/437

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toute l’étendue des plaines. Les constellations qui se lèvent pâles prennent moins d’éclat en gagnant dans la profondeur de la nuit, que ma vie ne croissait dans mon sein, soit en puissance, soit en splendeur, à mesure que je pénétrais dans les champs. Quand j’arrêtai mes pas au plus haut des collines, je chancelais comme la statue des dieux entre les bras des prêtres qui la soulèvent jusqu’à la base sacrée. Mon sein, ayant recueilli les esprits du dieu étendus sur la plaine, en avait conçu un trouble qui pressait mes pas et agitait mes pensées comme des flots rendus insensés par les vents. Sans doute, ce fut à la faveur de cet égarement que tu te précipitas dans mon sein, ô Bacchus, car les dieux surprennent ainsi l’esprit des mortels, comme le soleil qui, jaloux de pénétrer des rameaux pressés et pleins d’ombre, les fait entr’ouvrir par l’aquilon.

Puis Aëllo survint. Cette bacchante, fille de Typhon, le plus emporté de tous les vents, et d’une mère errante dans les montagnes de la Thrace, avait été élevée par les nymphes de ces contrées, dans le sein des cavernes et à l’écart de tous les hommes ; car les dieux confient aux fleuves qui tournent leur cours vers les plus grands déserts, ou aux nymphes qui habitent les quartiers des forêts les moins accessibles, la nourriture des enfants issus de leur mélange avec les filles des éléments ou des mortels. Aëllo descendait de la Scythie où elle s’était élevée jusqu’aux sommets des monts Riphées, et se répandait