Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/438

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dans la Grèce, agitant de toutes parts les mystères et portant ses clameurs sur toutes les montagnes. Elle avait atteint l’âge où les dieux, comme les bergers qui détournent l’eau des prairies, ferment les courants qui abreuvent la jeunesse des mortels. Quoiqu’elle possédât encore la fierté d’une vie toute pleine, les bords, il fallait le reconnaître, commençaient à se dessécher, et d’ailleurs l’usage des mystères avait troublé l’ordre de sa beauté qui présentait de grandes marques de pâleur. Sa chevelure, aussi nombreuse que celle de la nuit, demeurait étendue sur ses épaules, attestant la force et la richesse des dons qu’elle avait reçus des dieux ; mais, soit qu’elle l’eût trop de fois déployée dans le tourbillon des vents hyperboréens, soit qu’elle souffrît dans sa tête le travail de quelque destinée secrète, cette chevelure flétrie devançait l’injure des ans à peine commencée. Ses regards déclaraient dès l’abord qu’ils avaient reçu l’empire des plus vastes campagnes et de la profondeur du ciel ; ils régnaient toujours et se mouvaient sans se hâter, s’étendaient de préférence vers ces rivages de l’espace où sont rangées les ombres divines, qui reçoivent dans leur sein tout ce qui disparaît à l’horizon. Cependant, par intervalles, ce grand regard et d’un si long cours devenait irrésolu, et roulait dans le trouble comme celui de l’aigle au moment où ses yeux ressentent les premiers traits de la nuit. Elle montrait aussi des inconstances dans la manière de porter ses pas. Tantôt elle allait exaltant