Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/439

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par degrés sa course ferme et légère qu’elle prenait au long des fleuves ou des forêts, et tantôt elle conduisait sa démarche, comme Latone cherchant dans sa longue aventure un point d’asile pour enfanter les dieux qu’elle avait conçus. Quelquefois, pour l’hésitation de ses pas qui cherchaient à s’assurer et à l’air de sa tête contraint et chargé, on eût dit qu’elle marchait au fond d’un océan. Quand son sein par la persuasion de la nuit se rangeait au calme universel, sa voix sortait dans les ombres, paisible et longtemps soutenue, comme le chant des Hespérides à l’extrémité des mers.

Aëllo me renferma dans son amitié et m’instruisit avec tous les soins que les dieux emploient autour des mortels désignés pour leur faveur, et qu’ils veulent élever eux-mêmes. Comme les jeunes Arcadiens qui descendent avec le dieu Pan aux plus secrètes forêts pour apprendre de lui à poser leurs doigts sur les flûtes sauvages, et aussi à recueillir dans leur esprit le gémissement des roseaux, je marchais avec la grande bacchante qui, chaque jour, tirait ses pas vers quelque point écarté. C’était dans ces lieux déserts que son discours se déclarait, et que j’écoutais ses paroles prendre leur cours comme si j’eusse assisté à la source cachée d’un fleuve :

« Les nymphes qui règnent dans les forêts, disait-elle, se plaisent à exciter, sur le rivage des bois, des parfums ou des chants si doux que le passant rompt son chemin et s’induit pour les suivre au plus obscur