Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/440

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de ces retraites. Une influence subtile pénètre l’esprit de l’étranger, l’égarement qui s’élève en lui altère la fermeté de ses pas, et, tandis qu’il s’avance semblable aux demi-dieux champêtres qui portent toujours quelque ivresse dans leurs veines, les nymphes s’applaudissent de la puissance de leur séjour sur l’esprit des mortels.

« Mais Bacchus fait reconnaître l’enivrement de son haleine à tout ce qui respire et même à la famille inébranlable des dieux. Son souffle toujours renouvelé court par toute la terre, nourrit aux extrémités l’ivresse éternelle de l’Océan et, poussé dans l’air divin, il agite les astres qui se décrivent sans cesse autour du pôle ténébreux. Lorsque Saturne dans le sein de la nuit mutila Uranus endormi, la terre et les mers reçurent avec le sang répandu une nouvelle fécondité dont les premiers fruits qui s’élevèrent furent les nymphes sur la terre et Aphrodite sur les mers. Bacchus, sans cesse arrêté comme une tiède vapeur dans le sein humide de Cybèle, soutient la chaleur du sang vieilli qui engendre encore des chœurs entiers de nymphes dans l’épaisseur des forêts et dans l’écume immortelle des eaux.

« Les fleuves ont leur séjour dans les palais profonds de la terre, demeures étendues et retentissantes, où ces dieux penchés président à la naissance des sources et au départ des flots. Ils règnent, l’oreille toujours nourrie de l’abondance des bouillonnements, et l’oeil attaché à la destinée de leurs ondes. Mais ni