Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/453

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Thérèse, vous voilà compagne devenue
D’un chrétien mal dépris de ce monde mortel
Et qui traîne du pied en marchant vers le ciel.
Vous voilà suspendue, ô ma chère peinture !
En un cadre où reluit encor quelque dorure,
À la cloison de bois qui protége mon lit,
Ô ma sainte, le jour ! ô mon rêve, la nuit !
Plus bas un bénitier dans sa coquille ronde
Garde un peu de cette eau que fuit l’esprit immonde,
Et j’y viens, chaque soir, tremper le bout du doigt.
Dirai-je mieux, disant que la prière y boit
Au moment de partir pour la divine plage,
Comme je l’ai vu faire aux oiseaux de voyage ?
N’importe. Mais je sens, quand le front lourd et chaud
A porté, dans le jour, quelque rêve trop haut,
Que j’ai laissé sur lui se poser d’aventure,
De ces pensers au front laissant une brûlure,
Je sens, dis-je, le soir, qu’en y portant la main
Empreinte de cette eau, le mal se tourne en bien.

Thérèse, mon amour, reine de ma cellule,
Vous voyez bien souvent combien le front me brûle,
Et, pécheur que je suis, qu’il m’arrive, le soir,
De baisser devant vous mes yeux, de peur de voir
Vos angéliques traits qui font rougir ma face.
Car dans l’âme souvent telle chose se passe
Qui fait que l’on n’a pas assez de ses deux mains
Pour cacher son visage, et que des yeux sereins,
Le ciel pur, la beauté de toute la nature,
Une simple colombe à la blanche parure,
Tout cela nous tourmente, et qu’on semble avoir peur
De la douce innocence et de toute blancheur.

Quand j’aurai peur de vous, ma vierge, oh ! je vous prie,