Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/48

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et avec toute l’insouciance de cet âge. Aujourd’hui, je l’y ai appuyé fortement ; j’ai insisté sur mes traces primitives ; j’ai recommencé mon pèlerinage avec recueillement et dévotion, avec le recueillement des souvenirs et la dévotion de l’âme à ses premières impressions de paysage.

Le 30. — Il y a des livres qu’il ne faut plus lire. J’ai choisi pour relire René un jour des plus désenchantés de ma vie, où mon cœur me semblait mort, un jour de la plus aride sécheresse, pour essayer tout le pouvoir de ce livre sur une âme, et j’ai connu qu’il était grand. Cette lecture a détrempé mon âme comme une pluie d’orage. Je prends un charme infini à revenir sur mes premières lectures, mes lectures passionnées de seize à dix-neuf ans. J’aime à puiser des larmes aux sources presque taries de ma jeunesse.

Le 4 août. — Aujourd’hui j’achève ma vingt-deuxième année. J’ai vu souvent, à Paris, des enfants s’en aller en terre dans de tout petits cercueils, et traverser ainsi la grande foule. Oh ! que n’ai-je traversé le monde comme eux, enseveli dans l’innocence de mon cercueil et dans l’oubli d’une vie d’un jour ! Ces petits anges ne savent rien de la terre ; ils naissent dans le ciel. Mon père m’a dit que, dans mon enfance, il a vu souvent mon âme sur mes lèvres, prête à s’envoler. Dieu et l’amour paternel la re-