Page:Guérin - Journal, lettres et poèmes, 1864, 6e éd.djvu/49

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tinrent clans l’épreuve de la vie. Reconnaissance et amour à tous deux ! Mais je ne puis m’ empêcher de regretter le ciel où je serais , et que je ne puis atteindre que par la ligne oblique de la carrière humaine.

Le 13. — Je suis faible, bien faible ! Combien de fois, même depuis que la grâce marche avec moi, ne suis-je pas tombé comme un enfant sans lisières ! Mon âme est frêle au delà de tout ce qu’on peut imaginer. C’est le sentiment de ma faiblesse qui me fait chercher un abri et qui me donne la force de briser avec le monde pour rester plus sûrement avec Dieu. Deux jours au grand air, à Paris, mettraient à bout toutes mes résolutions. Il me faut donc les cacher, les enfouir, les mettre à l’ombre de la retraite. Or, parmi les asiles ouverts aux âmes qui ont besoin de fuir, nul ne m’est plus favorable que la maison de M. de Lamennais, pleine de science et de piété. Quand j’y réfléchis, je rougis de ma vie dont j’ai tant abusé. J’ai flétri mon humanité. Heureusement j’avais deux parts dans mon âme ; je n’ai plongé qu’à demi dans le mal. Tandis qu’une moitié de moi-même rampait à terre, l’autre, inaccessible à toute souillure, haute et sereine, amassait goutte à goutte cette poésie qui jaillira, si Dieu me laisse le temps. Tout est là pour moi. Je dois tout à la poésie, puisqu’il n’y a pas d’autre mot pour exprimer l’ensemble de mes pensées ; je lui dois tout ce que j’ai encore