Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/159

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— Adieu, ciel ! Adieu, terre ! Adieu, monde enchanté
Par ma beauté native et mon jeune sourire !
Fleuves, rivages noirs, mers, qui me vîtes luire
Comme un astre égaré dans les cieux entr’ouverts,
Adieu ! J’éteins la flamme intacte où l’univers,
Comme un oiseau de nuit, venait brûler ses ailes
Et s’enivrer d’amour au feu de mes prunelles.
Peuples, troupeaux humains dont je broyais les fronts,
Royaumes ajoutés ainsi que des fleurons
A la haute splendeur de la Couronne double,
Adieu ! J’oublie et meurs. L’ombre est douce qui trouble
Le lointain funéraire où vous disparaissez.
Les portes ont gémi sur les gonds renversés ;
Le triomphe m’attend ; j’y cours. Mais jamais Rome
N’enchaînera la Reine au char sanglant d’un homme.
C’est ici qu’immortelle, auprès de ses Aïeux,
L’héritière des Rois, fille des anciens Dieux,
Dans le bon Amenti va descendre et renaître
A côté du Soleil sur la Barque de l’Être,
Et belle, triomphante, inoubliable, endort
Son souvenir sacré dans l’amour et la mort. —

Elle dit. Sans effroi sa main dans la corbeille
Plonge une épingle d’or, cherche, irrite et réveille
L’aspic noir, endormi sous les fruits écartés.
Il siffle, se redresse... O Dieux épouvantés !
Goutte à goutte le sang filtre de la blessure
Sur la chair palpitante où bleuit la morsure.