Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/224

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Hâtait l’essor final de toutes les victoires.
Et la Guerre, hurlante et féconde en courroux,
D’un horrible éperon pressait un cheval roux
Et traçait sur la terre, au fil de son épée,
Comme un sillon sanglant dans la moisson coupée.
Hâve, cadavérique, épouvantable à voir,
La Famine aux flancs creux montait un coursier noir
Et, la balance en main, criait : — Je vends et règle
A deux deniers marchands les trois livres de seigle ;
Je cède à deux deniers la livre de froment. —
Et dans la nuit plus sombre, au fond du firmament,
Sur un pâle cheval la pâle Cavalière,
La Mort, passait enfin. Sa blême auxiliaire,
La Peste galopait avec elle ; et l’Enfer
Suivait sa faulx dressée et son glaive de fer
Comme une légion suit l’aigle des enseignes.

Les Princes frémissaient et les forfaits des règnes
Jusqu’aux genoux des Rois s’amoncelaient ; et tels
Que de mornes agneaux couchés sur des autels,
Les Martyrs attendaient le suprême carnage,
Et comptant devant Dieu les Morts du Témoignage,
Supputaient à leur tour si le nombre était plein.

Et le ciel fut pareil au lambeau de vélin
Qu’une flamme noircit, déforme, roule et froisse ;
Et la création haleta dans l’angoisse,
Veuve du vieux soleil, plus noir qu’un sac de deuil.
La lune erra dans l’ombre et saigna comme un œil