Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/120

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lène, je lui déclarai qu’il ferait bon se coucher au dessous de ces arceaux de verdure, sur le fin gazon. Elle répondit, ironique :

— Vous êtes fatigué ? Je vous préviens que, moi, je ne suis pas venue ici pour me coucher.

Puis ayant, par un demi-tour preste, échappé à mon étreinte, elle se mit à courber les branches de noisetier et à détacher les touffes de noisettes qu’elle glissait à mesure dans la poche de son tablier.

Je commençais à devenir perplexe. Cela m’étonnait qu’elle eût l’air de mettre des formes à une chose qui devait lui sembler très banale. J’avais la volonté d’agir, mais je repoussais d’instant en instant le début de l’action. J’observai que les noisetiers se faisaient rares.

― Allons dans le fond, nous en trouverons davantage, dit-elle.

Elle glissait au travers des branches avec une agilité qui avait de quoi surprendre, étant donné ses façons pesantes ; j’avais de la peine à la suivre. Nous marchions depuis quelques instants dans la voie frayée qui coupait en deux le taillis quand nous nous trouvâmes en face d’un homme à forte barbe noire, très grand et jeune encore. Elle ne parut pas surprise : j’eus l’intuition que j’étais joué. L’homme dit, mi-sérieux, mi-rieur :

― Tiens, vous avez donc pris un commis pour vous aider aux noisettes, Hélène ?

Je rougis comme une ingénue de quinze ans, comme rougissait la Suzanne de chez nous ; néanmoins, j’essayai de m’en tirer par une bravade.

— À deux, on fait toujours mieux, dis-je.

— Oui, mais à trois on fait moins bien, blanc bec !

Et le voilà qui me tombe dessus à coups de poing en ricanant.

— Tiens, attrape ça… tiens… Et puis ça encore…