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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/52

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bout, même inconsciemment, mon office de gardien.

Le retour fut long, silencieux et pénible. Mes yeux se fermaient malgré moi, et mon père, dont je ne lâchais pas la main, me traînait presque. De plus, il avait à fouailler toujours les cochons qui lambinaient. Et, à un moment donné, malade, il dut s’arrêter, s’accoter contre un mur de pierres sèches, le front dans la main ; exhalant une écœurante senteur de vin, des hoquets de plus en plus rapprochés le secouèrent ; il souffrait tellement, que son visage était décomposé ; il finit enfin par vomir et, soulagé, me reprit la main, put repartir.

Il était onze heures passé quand nous fûmes rendus. J’entrai de suite à la maison, laissant mon père s’occuper seul d’enfermer les cochons et de leur donner à manger. Au coin de l’âtre où s’éteignaient les dernières braises, ma mère veillait en tricotant. Toute la soirée elle avait prêté l’oreille aux bruits du dehors, comptant toujours nous voir arriver, sentant grandir son inquiétude à mesure qu’avançait l’heure. Elle me demanda pourquoi nous nous étions tant attardés. Et quand je lui eus fait le récit de la journée, elle se prit à me plaindre et à me prodiguer des caresses, en même temps qu’elle foudroyait de son plus mauvais regard mon père qui venait d’entrer ; puis elle sembla ignorer qu’il fût là, ne lui prêta aucune attention. Lui ne dit pas un mot non plus ; il se coucha immédiatement. Je mangeai un reste de soupe et un œuf cuit sous la cendre. Ce régal me fit du bien ; mais tout de même, je ne pus guère dormir. Il me fallut plus d’une semaine pour me remettre de mes fatigues et du rhume qui fut la conséquence de ma trop longue faction. Mais il fallut à mon père et à ma mère bien plus de temps encore pour revenir à leurs relations normales.