Aller au contenu

Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Voyez, il serait préférable de labourer à telle époque et de telle façon. Ou bien : — Vous mettez trop peu de semence. Ou bien encore : — Il faut donner telle ration à vos bœufs.

Je me rappelle d’un jour où il vint nous trouver, mon parrain et moi, alors que nous étions en train de labourer une jachère. Il pouvait être neuf heures du matin ; c’était à la fin d’avril et il faisait chaud ; M. Boutry dit, très affairé :

— Baptiste, Baptiste, quand il fait chaud comme cela il ne faut pas garder les bœufs trop longtemps, trois heures au maximum. Si l’on prolonge au-delà de cette limite, il peut en résulter des accidents fort graves. J’ai lu cela hier dans un traité d’agriculture très bien fait.

Il passa sur le dos des bœufs sa petite main d’apothicaire fine et blanche.

― Voyez, ils sont déjà en sueur ; leurs flancs battent ; de la mousse écumeuse sort de leur bouche ; ils en viendraient à tirer la langue… Il va falloir les dételer, Baptiste.

Mon parrain haussa les épaules.

— Nous en aurions pour longtemps à faire notre ouvrage, monsieur, si nous ne les gardions que trois heures chaque attelée. Par les temps de chaleur, bien sûr que leurs flancs battent et qu’ils tirent la langue, mais ça ne leur fait pas de mal, allez…

Il s’exprimait d’un ton rude, en notre langage incorrect de la campagne, et cela contrastait avec l’affabilité du maître et son pur français.

— C’est une erreur : il peut en résulter des accidents fort graves, vous dis-je… Ne les gardez pas trop longtemps.

— Oh ! pas plus tard que midi, vous pouvez être tranquille, fit mon parrain narquois.