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Page:Guinault - Le numéro treize (1880).pdf/10

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LE NUMÉRO TREIZE

Des choses plus récentes s’effacent de l’esprit ; mais la mémoire des impressions du jeune âge demeure, avec des teintes radieuses, rien n’en paraît ni mesquin, ni futile, si gravé qu’on soit devenu.

Aujourd’hui que mes cheveux sont tout blancs, ces jours riants passent encore devant mes yeux, frais comme autrefois, et j’oublie que plus de soixante ans ont passé sur ma tête.

Je vois le champ aux longs sillons tracés si droit par le cousin Pierre, en chantant une vieille chanson ; et là, le grand pré bordé d’une haie vive où, malgré mes efforts, ma chèvre broutait les jeunes pousses.

Quelle lutte entre nous !

— Viens donc, Jeannette, criais-je à la bonne bête, voici le gros Colas… Viens donc !

La chèvre me résistait et une rude voix se faisait entendre :

— Vas-tu garder ta bique, gamin ?

Mais, Jeannette broutait toujours… désespéré, tout rouge, grondant, je tirais la corde tant que je pouvais, la chèvre cédait, se jouait, en bondissant et je l’entraînais jusqu’à notre pâturage.

Et les bœufs ! les grands bœufs à l’œil placide, au pas lent et régulier, attelés au vieux chariot qui penche dans l’ornière… les voilà qui passent. Mon père les conduit, c’est le moment de la rentrée des foins.

— Tiens ! garcon, te voilà par ici : Monte donc !