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Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/133

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comme seigneur féodal, le patricien romain était chef de famille, maître, supérieur. Il était religieux, pontife dans l’intérieur de sa famille. Or, l’importance du magistrat religieux lui vient du dehors ; ce n’est pas une importance purement personnelle, individuelle ; il la reçoit d’en haut ; il est le délégué de la Divinité, l’interprète des croyances religieuses qui s’y rattachent. Le patricien romain était en outre membre d’une corporation qui vivait réunie dans un même lieu, membre du sénat ; encore une importance qui lui venait du dehors, de sa corporation, une importance reçue, empruntée. La grandeur des aristocrates anciens, associée a un caractère religieux et politique, appartenait à la situation, à la corporation en général, plutôt qu’à l’individu. Celle du possesseur de fief est purement individuelle ; il ne tient rien de personne ; tous ses droits, tout son pouvoir lui viennent de lui seul. Il n’est point magistrat religieux ; il ne fait point partie d’un sénat ; c’est dans sa personne, dans son individu que toute son importance réside : tout ce qu’il est, il l’est par lui-même, en son propre nom. Quelle influence ne doit pas exercer une telle situation sur celui qui l’occupe ! Quelle fierté individuelle, quel prodigieux orgueil, tranchons le mot, quelle insolence, doivent naître dans son âme ! Au-dessus de lui, point de supérieur dont il soit le représentant et l’interprète ; auprès de lui, point d’égaux, nulle loi puissante et commune qui pèse sur lui ; nul empire extérieur qui ait action sur sa volonté ; il ne connaît de frein que les limites de sa force et la présence du danger. Tel est, sur le caractère de l’homme, le résultat moral de la situation.