Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/135

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rapport avec le clan ; mais la différence est bien plus grande. La population qui entoure le possesseur de fief lui est parfaitement étrangère ; elle ne porte pas son nom ; il n’y a, entre elle et lui, point de parenté, point de lien historique ni moral. Ce n’est pas non plus la famille patriarcale. Le possesseur de fief ne mène pas la même vie, ne se livre point aux mêmes travaux que ceux qui l’entourent ; il est oisif et guerrier, tandis que les autres sont laboureurs. La famille féodale n’est pas nombreuse ; ce n’est point la tribu ; elle se réduit à la famille proprement dite, à la femme, aux enfants ; elle vit séparée du reste de la population, dans l’intérieur du château. Les colons, les serfs, n’en font point partie ; l’origine est diverse, l’inégalité de condition prodigieuse. Cinq ou six individus, dans une situation à la fois supérieure et étrangère, voilà la famille féodale. Elle doit évidemment revêtir un caractère particulier. Elle est étroite, concentrée, sans cesse appelée à se défendre, à se méfier, à s’isoler du moins, même de ses serviteurs. La vie intérieure, les mœurs domestiques y prendront, à coup sûr, une grande prépondérance. Je sais que la brutalité des passions, l’habitude du chef de passer son temps à la guerre ou à la chasse, apporteront au développement des mœurs domestiques un assez grand obstacle. Mais cet obstacle sera vaincu ; il faudra bien, que le chef revienne habituellement chez lui ; il y retrouvera toujours sa femme, ses enfants et eux presque seuls ; seuls, ils seront sa société permanente ; seuls, ils partageront toujours ses intérêts, sa destinée. Il est impossible que l’existence domestique n’acquière pas un grand empire.