Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/208

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En même temps qu’il tentait de soumettre le monde civil à l’Église, et l’Église à la papauté, dans un but de réforme, de progrès, non dans un but stationnaire et rétrograde, une tentative de même nature, un mouvement pareil se produisait dans le sein des monastères. Le besoin de l’ordre, de la discipline, de la rigidité morale y éclatait avec ardeur. C’est le temps ou Robert de Molême introduisait une règle sévère à Citeaux ; le temps de saint Norbert et de la réforme des chanoines ; le temps de la réforme de Cluny, enfin la grande réforme de saint Bernard. Une fermentation générale règne dans les monastères ; les vieux moines se défendent, trouvent cela très mauvais, disent qu’on attente à leur liberté, qu’il faut s’accommoder aux mœurs du temps, qu’il est impossible de revenir à la primitive Église, et traitent tous ces réformateurs d’insensés, de rêveurs, de tyrans. Ouvrez l’histoire de Normandie, d’Orderic Vital, vous y rencontrerez sans cesse ces plaintes.

Tout semblait donc tourner au profit de l’Église, de son unité, de son pouvoir. Mais pendant que la papauté cherchait à s’emparer du gouvernement du monde, pendant que les monastères se réformaient sous le point de vue moral, quelques hommes puissants, bien qu’isolés, réclamaient pour la raison humaine le droit d’être quelque chose dans l’homme, le droit d’intervenir dans ses opinions. La plupart d’entre eux n’attaquaient pas les opinions reçues, les croyances religieuses ; ils disaient seulement que la raison avait le droit de les prouver, qu’il ne suffisait pas qu’elles fussent affirmées par l’autorité. Jean Erigène, Roscelin, Abailard, voilà par quels interprètes