Aller au contenu

Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je suppose, Messieurs, qu’en 1789, au moment où commençait la terrible régénération de la France, un bourgeois du douzième siècle eût soudainement reparu au milieu de nous ; qu’on lui eût donné à lire, car il faut qu’il sût lire, un de ces pamphlets qui agitaient si puissamment les esprits, par exemple le pamphlet de M. Sieyès : Qu’est-ce que le tiers ? Ses yeux tombent sur cette phrase, qui est le fond du pamphlet : « Le tiers-état, c’est la nation française, moins la noblesse et le clergé. » Je vous le demande, Messieurs, quelle impression produira une telle phrase sur l’esprit d’un tel homme ? Croyez-vous qu’il la comprenne ? Non, il ne comprendra pas ces mots, la nation française, car ils ne lui représentent aucun des faits à lui connus, aucun des faits de son temps ; et s’il comprenait la phrase, s’il y voyait clairement cette souveraineté attribuée au tiers-état sur la société tout entière, à coup sûr cela lui paraîtrait une proposition presque folle et impie, tant elle serait en contradiction avec ce qu’il aurait vu, avec l’ensemble de ses idées et de ses sentiments.

Maintenant, Messieurs, demandez à ce bourgeois étonné de vous suivre ; conduisez-le dans quelqu’une des communes de France, à cette époque, à Reims, à Beauvais, à Laon, à Noyon ; un bien autre étonnement s’emparera de lui : il entre dans la ville ; il n’aperçoit ni tours, ni remparts, ni milice bourgeoise, aucun moyen de défense ; tout est ouvert, tout est livré au premier venu, au premier occupant. Le bourgeois s’inquiète de la sûreté de cette commune, il la trouve bien faible, bien mal garantie. Il pénètre dans l’intérieur, il s’enquiert de ce qui s’y passe, de