Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/234

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qui habitait près de lui, et qui venait d’être vaincu, n’en sentait pas moins son extrême infériorité ; il ne connaissait pas ce fier sentiment d’indépendance qui animait le propriétaire de fief ; il tenait sa part de liberté non de lui seul, mais de son association avec d’autres, secours difficile et précaire. De là ce caractère de réserve, de timidité d’esprit, de modestie craintive, d’humilité dans le langage, même au milieu d’une conduite ferme, qui est si profondément empreint dans la vie non-seulement des bourgeois du douzième siècle, mais de leurs plus lointains descendants. Ils n’ont point le goût des grandes entreprises ; quand le sort les y jette, ils en sont inquiets et embarrassés ; la responsabilité les trouble ; ils se sentent hors de leur sphère ; ils aspirent à y rentrer ; ils traiteront à bon marché. Aussi, dans le cours de l’histoire de l’Europe, de la France surtout, voit-on la bourgeoisie estimée, considérée, ménagée, respectée même, mais rarement redoutée ; elle a rarement produit sur ses adversaires l’impression d’une grande et fière puissance, d’une puissance vraiment politique. Il n’y a point à s’étonner de cette faiblesse de la bourgeoisie moderne ; la principale cause en est dans son origine même, dans ces circonstances de son affranchissement que je viens de mettre sous vos yeux. La hauteur de l’ambition, indépendamment des conditions sociales, l’étendue et la fermeté de la pensée politique, le besoin d’intervenir dans les affaires du pays, la pleine conscience enfin de la grandeur de l’homme, en tant qu’homme, et du pouvoir qui lui appartient, s’il est capable de l’exercer, ce sont là, Messieurs, en Europe, des sentiments, des dispositions