Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/253

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cinquième au onzième siècle, rien de général n’avait pu s’établir en Europe ; j’ai cherché à montrer comment tout était devenu local, comment les États, les existences, les esprits s’étaient renfermés dans un horizon fort étroit. Ainsi le régime féodal avait prévalu. Au bout de quelque temps, un horizon si borné ne suffit plus ; la pensée et l’activité humaine aspirèrent à dépasser la sphère où elles étaient renfermées. La vie errante avait cessé, mais non le goût de son mouvement, de ses aventures. Les peuples se précipitèrent dans les croisades comme dans une nouvelle existence plus large, plus variée, qui tantôt rappelait l’ancienne liberté de la barbarie, tantôt ouvrait les perspectives d’un vaste avenir.

Telles furent, je crois, au douzième siècle les deux causes déterminantes des croisades. À la fin du treizième siècle, ni l’une ni l’autre de ces causes n’existait plus. L’homme et la société étaient tellement changés, que ni l’impulsion morale, ni le besoin social qui avaient précipité l’Europe sur l’Asie, ne se faisaient plus sentir. Je ne sais si beaucoup d’entre vous ont lu les historiens originaux des croisades, et s’il vous est quelquefois venu à l’esprit de comparer les chroniqueurs contemporains des premières croisades, avec ceux de la fin du douzième et du treizième siècle ; par exemple, Albert d’Aix, Robert le Moine et Raymond d’Agiles, qui assistaient à la première croisade, avec Guillaume de Tyr et Jacques de Vitry. Quand on rapproche ces deux classes d’écrivains, il est impossible de n’être pas frappé de la distance qui les sépare. Les premiers sont des chroniqueurs animés, d’une imagination émue, et qui racontent les