Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/255

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de Tyr, Jacques de Vitry, Bernard le trésorier, parlent des Musulmans tout autrement ; on sent que, tout en les combattant, ils ne les voient plus comme des monstres, qu’ils sont entrés jusqu’à un certain point dans leurs idées, qu’ils ont vécu avec eux, qu’il s’est établi entre eux des relations et même une sorte de sympathie. Guillaume de Tyr fait un bel éloge de Noureddin, et Bernard le trésorier de Saladin. Ils vont même quelquefois jusqu’à opposer les mœurs et la conduite des Musulmans aux mœurs et à la conduite des chrétiens ; ils adoptent les Musulmans pour faire la satire des chrétiens, comme Tacite peignait les mœurs des Germains en contraste avec les mœurs de Rome. Vous voyez quel changement immense a dû s’opérer entre les deux époques, puisque vous trouvez dans la dernière, sur les ennemis mêmes des chrétiens, sur ceux contre lesquels les croisades étaient dirigées, une liberté, une impartialité d’esprit qui eût saisi les premiers croisés de surprise et de colère.

C’est là, Messieurs, le premier, le principal effet des croisades, un grand pas vers l’affranchissement de l’esprit, un grand progrès vers des idées plus étendues, plus libres. Commencées au nom et sous l’influence des croyances religieuses, les croisades ont enlevé aux idées religieuses, je ne dirai pas leur part légitime d’influence, mais la possession exclusive et despotique de l’esprit humain. Ce résultat, bien imprévu sans doute, est né de plusieurs causes. La première, c’est évidemment la nouveauté, l’étendue, la variété du spectacle qui s’est offert aux yeux des croisés. Il leur est arrivé ce qui arrive aux voyageurs. C’est un lieu commun que de dire que l’esprit des