Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/296

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Messieurs, la théocratie comme un autre, ne s’établit pas d’une manière indirecte, par voie de simple influence ; il faut juger, administrer, commander, percevoir les impôts, disposer des revenus, gouverner en un mot, prendre vraiment possession de la société. Quand on agit par la persuasion, et sur les peuples, et sur les gouvernements, on peut faire beaucoup, on peut exercer un grand empire ; on ne gouverne pas, on ne fonde pas un système, on ne s’empare pas de l’avenir. Telle a été, par son origine même, la situation de l’Église chrétienne ; elle a toujours été à côté du gouvernement de la société ; elle ne l’a jamais écarté et remplacé ; grand obstacle que la tentative d’organisation théocratique n’a pu surmonter.

Elle en a rencontré de très bonne heure un second. L’Empire romain une fois tombé, les États barbares fondés, l’Église chrétienne s’est trouvée de la race des vaincus. Il a fallu d’abord sortir de cette situation ; il a fallu commencer par convertir les vainqueurs et s’élever ainsi à leur rang. Ce travail accompli, quand l’Église a aspiré à la domination, alors elle a rencontré la fierté et la résistance de la noblesse féodale. C’est, Messieurs, un immense service que la féodalité laïque a rendu à l’Europe ; au onzième siècle, les peuples étaient à peu près complètement subjugués par l’Église ; les souverains ne pouvaient guère se défendre ; la noblesse féodale seule n’a jamais accepté le joug du clergé, ne s’est jamais humiliée devant lui. Il suffit de se rappeler la physionomie générale au moyen-âge pour être frappé d’un singulier mélange de hauteur et de soumission,