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Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/46

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en présence des faits ; à mesure qu’un fait se présente, qui paraît rentrer dans le sens d’un terme connu, on l’y reçoit, pour ainsi dire, naturellement ; le sens du terme s’étend, s’élargit, et peu à peu les divers faits, les diverses idées qu’en vertu de la nature des choses mêmes, les hommes doivent rallier sous ce mot, s’y rallient en effet. Lorsque le sens d’un mot, au contraire, est déterminé par la science, cette détermination, ouvrage d’un seul ou d’un petit nombre d’individus, a lieu sous l’empire de quelque fait particulier qui a frappé leur esprit. Ainsi les définitions scientifiques sont en général beaucoup plus étroites et, par cela seul, beaucoup moins vraies au fond que le sens populaire des termes. En étudiant, comme un fait, le sens du mot civilisation, en recherchant toutes les idées qui y sont comprises, selon le bon sens des hommes, nous avancerons beaucoup plus dans la connaissance du fait lui-même, que si nous tentions d’en donner nous-mêmes une définition scientifique, parût-elle d’abord plus claire et plus précise.

Pour commencer cette recherche, je vais essayer de mettre sous vos yeux quelques hypothèses ; je décrirai un certain nombre d’états de société, et puis nous nous demanderons si l’instinct général y reconnaîtrait l’état d’un peuple qui se civilise, si c’est là le sens que le genre humain attache naturellement au mot civilisation.

Voici un peuple dont la vie extérieure est douce, commode ; il paie peu d’impôts, il ne souffre point ; la justice lui est bien rendue dans les relations privées ; en un mot, l’existence matérielle, dans son ensemble, est assez bien et heureusement réglée. Mais