Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/48

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de la force et du hasard ; chacun, s’il n’est fort, est opprimé, souffre, périt ; la violence est le caractère dominant de l’état social. Il n’y a personne qui ne sache que l’Europe a passé par cet état. Est-ce un état civilisé ? Il peut contenir sans doute des principes de civilisation qui se développeront successivement ; mais le fait qui domine dans une telle société n’est pas, à coup sûr, ce que le bon sens des hommes appelle la civilisation.

Je prends une quatrième et dernière hypothèse. La liberté de chaque individu est très grande, l’inégalité entre eux est rare, ou au moins très passagère. Chacun fait à peu près ce qu’il veut, et ne diffère pas beaucoup en puissance de son voisin ; mais il y a très peu d’intérêts généraux, très peu d’idées publiques, très peu de sentiments publics, très peu de société, en un mot : les facultés et l’existence des individus se déploient et s’écoulent isolément, sans agir les uns sur les autres, sans laisser de traces ; les générations successives laissent la société au même point où elles l’ont reçue : c’est l’état des tribus sauvages ; la liberté et l’égalité sont là ; et pourtant à coup sûr, la civilisation n’y est point.

Je pourrais multiplier ces hypothèses ; mais je crois que nous en avons assez pour démêler quel est le sens populaire et naturel du mot civilisation.

Il est clair qu’aucun des états que je viens de parcourir ne correspond, selon le bon sens naturel des hommes, à ce terme. Pourquoi ? Il me semble que le premier fait qui soit compris dans le mot civilisation (et cela résulte des divers exemples que je viens de faire passer sous vos yeux), c’est le fait de progrès,