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Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/71

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ser jusqu’au bout. Les démocrates subissent la même loi. Nulle part cette imperturbable hardiesse, cet aveuglement de la logique qui éclatent dans les civilisations anciennes. Les sentiments offrent les mêmes contrastes, la même variété ; un goût d’indépendance très énergique à côté d’une grande facilité de soumission ; une rare fidélité d’homme à homme, et en même temps un besoin impérieux de faire sa volonté, de secouer tout frein, de vivre seul, sans s’inquiéter d’autrui. Les âmes sont aussi diverses, aussi agitées que la société.

Le même caractère se retrouve dans les littératures. On ne saurait disconvenir que, sous le point de vue de la forme et de la beauté de l’art, elles sont très inférieures à la littérature ancienne : mais sous le point de vue du fond des sentiments, des idées, elles sont plus fortes et plus riches. On voit que l’âme humaine a été remuée sur un plus grand nombre de points, à une plus grande profondeur. L’imperfection de la forme provient de cette cause même. Plus les matériaux sont riches, nombreux, plus il est difficile de les ramener à une forme simple, pure. Ce qui fait la beauté d’une composition, de ce que, dans les œuvres de l’art, on nomme la forme, c’est la clarté, la simplicité, l’unité symbolique du travail. Avec la prodigieuse diversité des idées et des sentiments de la civilisation européenne, il a été bien plus difficile d’arriver à cette simplicité, à cette clarté.

Partout donc se retrouve ce caractère dominant de la civilisation moderne. Il a eu sans doute cet inconvénient que, lorsqu’on considère isolément tel ou tel développement particulier de l’esprit humain