Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/245

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journées sombres et moroses qui portent à l’âme une vague amertume, leurs paroles avaient été tristes, celles de Mazza, surtout, avaient une mélancolie harmonieuse. Chaque l’ois qu’Ernest allait dire qu’il l’aimait pour la vie, chaque fois qu’il lui échappait un sourire, un regard, un cri d’amour, Mazza ne répondait pas, elle le regardait silencieuse, avec ses deux grands yeux noirs, son front pâle, sa bouche béante.

Ce jour elle se sentit oppressée, comme si une main invisible lui eût pesé sur la poitrine ; elle craignait, mais elle ne savait quel était l’objet de ses craintes, et se complaisait dans cette appréhension mêlée d’une étrange sensation d’amour, de rêverie, de mysticisme. Une fois elle recula son fauteuil, effrayée du sourire d’Ernest, qui était bestial et sauvage à faire peur, mais celui-ci se rapprocha d’elle aussitôt, lui prit les mains et les porta à ses lèvres ; elle rougit et lui dit d’un ton de calme affecté :

— Est-ce que vous auriez envie de me faire la cour ?

— Vous faire la cour ? Mazza ! à vous ?

Cette réponse-là voulait tout dire.

— Est-ce que vous m’aimeriez ?

Il la regarda en souriant.

— Ernest, vous auriez tort.

— Pourquoi ?

— Mon mari ! y pensez-vous ?

— Eh bien, votre mari ! qu’est-ce que cela veut dire ?

— Il faut que je l’aime.

— Cela est plus facile à dire qu’à faire, c’est-à-dire que si la loi vous dit : « Vous l’aimerez », votre cœur s’y pliera comme un régiment qu’on fait manœuvrer ou une barre d’acier qu’on ploie des deux mains, et si moi je vous aime…

— Taisez-vous, Ernest, pensez à ce que vous devez à une femme qui vous reçoit comme moi, dès le