Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/248

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Le lendemain, Mazza reçut une lettre ; elle était en papier satiné, toute embaumante de rose et de musc, elle était signée d’un E entouré d’un paraphe ; je ne sais ce qu’il y avait, mais Mazza relut la lettre plusieurs fois, elle en retourna les deux feuillets, en considéra les plis, elle s’enivra de son odeur embaumée, puis la roula en boulette et la jeta au feu ; le papier consumé s’envola pendant quelque temps, et revint enfin se reposer doucement sur les chenets comme une gaze blanche et plissée.

Ernest l’aime ! il le lui a dit ! Oh ! elle est heureuse, le premier pas est fait, les autres ne lui coûteront plus ; elle pourra maintenant le regarder sans rougir, elle n’aura plus besoin de tant de ménagements, de petites mines de femme pour se faire aimer ; il vient lui-même, il se donne à elle, sa pudeur est ménagée, et c’est cette pudeur qui reste toujours aux femmes, ce qu’elles gardent même au fond de leur amour le plus brûlant, des plus ardentes voluptés, comme un dernier sanctuaire d’amour et de passion, où elles cachent comme sous un voile tout ce qu’elles ont de brutal et d’efféminé.

Quelques jours après, une femme voilée passait presque en courant le pont des Arts ; il était sept heures du matin.

Après avoir longtemps marché, elle s’arrêta à une porte cochère et elle demanda M. Ernest ; il n’était pas sorti, elle monta. L’escalier lui semblait d’une interminable longueur, et, quand elle fut parvenue au second étage, elle s’appuya sur la rampe et se sentit défaillir ; elle crut alors que tout tournait autour d’elle et que des voix basses chuchotaient à ses oreilles en sifflant ; enfin elle posa une main tremblante sur la sonnette. Quand elle entendit son battement perçant et répété, il y eut un écho qui résonna dans son cœur, comme par une répercussion galvanique.

Enfin la porte s’ouvrit, c’était Ernest lui-même.