Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son embonpoint ne lui donnait pas un air de santé, et sur ses joues boursouflées, on voyait une pâleur mate et livide.

Quand il se levait on voyait qu’il boitait du pied gauche ; du reste il était gracieux dans ses manières, et jusqu’en ses moindres gestes la dignité royale brillait de tout son éclat. Sa personne seule inspirait l’attachement et l’intérêt ; cette belle tête noire et pâle, cette figure triste et douce, indiquaient une de ces âmes si pleines de passion, si puissantes de sentiment qu’elles se dilatent, se crèvent, et s’abîment, ne pouvant contenir tout ce qu’elles recèlent ; c’était une de ces lames qui usent le fourreau avant qu’elles ne se rouillent.

Il paraissait triste et soucieux, se promenait à grands pas dans son appartement, les bras croisés et la tête baissée sur la poitrine ; de sa main droite, il portait un poignard. Enfin, au bout de quelque temps, il s’assit comme épuisé d’un cauchemar accablant, puis mettant le coude sur la table, il regarda sa lame de Tolède. Un sourire amer vint dérider ses lèvres sèches et blanchies, son front rayonna d’espérance et il dit : « Ô ma pauvre amie, tu me rendrais un bien grand service, et bientôt… » Puis il tressaillit tout à coup, se retourna brusquement et regarda derrière lui, mais il ne vit rien, c’était une mouche qui bourdonnait sur les carreaux ; le même bruit se renouvela bientôt, ce n’était plus une illusion, et il entendit distinctement des voix qui parlaient ensuite, comme ces sons vagues et confus qui murmurent dans les rêves.

Il se leva en frappant du pied, de colère et d’impatience, une planche aussitôt glissa dans une coulisse, une porte se referma et une voix dit :

— Vous l’avez vu, monseigneur ?

Cette voix, c’était celle de Philippe.

Carlos retomba sur son fauteuil, plus pâle et plus colère :

— Toujours lui ! dit-il entre ses dents, toujours cet