Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/98

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tous ces dédains pour elle, l’amour de Pedrillo pour son enfant. Et la tête de bœuf lui revenait encore dans l’esprit, avec ses narines ouvertes et son rire féroce ; son expression stupide l’effrayait encore.

Je ne sais si vous avez comme moi étudié tous ces visages grotesques, mais il y en a quelques-uns dont l’auteur doit être bien athée et bien misanthrope pour réunir sur le même carton la ressemblance de la brute avec l’homme.

La haine sans cause d’Isambart lui avait fait une singulière impression : sa haine avait pour motif qu’elle marchait mal, que ses cheveux étaient rouges et qu’elle aimait ses enfants. Ce remède ignoble à ses maux, qu’il lui avait proposé, cette insulte outrageante de lui avoir fait sentir qu’on la nourrissait par pitié, qu’elle leur était à charge, tout cela la faisait souffrir, elle qui aimait tant son Pedrillo, elle qui n’avait demandé au ciel qu’une vie d’amour, qu’un mari qui l’aimât, qui comprît toutes ses tendres affections et qui sentît toute la poésie qu’il y avait dans ce cœur de baladine, de femme honnie, méprisée de la société.

« Ah ! se disait-elle en elle-même, lorsqu’elle voyait passer, en chapeau, une femme honnête, pourquoi ne suis-je point comme elle ? » et alors l’envie lui prenait au cœur ; quand elle voyait danser lsabellada, elle demandait au ciel pourquoi la nature ne l’avait point faite ainsi, et elle haïssait la maîtresse de son mari. Oh ! dans ces moments-là, quand elle avait froid, quand elle voyait Pedrillo vivre heureux et content, alors elle était méchante et ne croyait plus en Dieu.

Encore elle se serait passée d’argent ! Elle demanda de l’amour à la société, on lui rit à la face ; de l’humanité ? on lui montra le chemin de l’hôpital ; de la pitié ? c’est une baladine. Ah ! de la pitié à une baladine, à une voleuse d’enfants, à une coureuse des rues !

Eh bien, à cette société qui n’avait voulu lui donner ni pain, ni amour, ni pitié, elle voua la haine et la